Les auteurs du dictionnaire posthume de la finance nous disent pourquoi plafonner les rémunérations des traders est inutile et nous prédisent un cac à 5 000.
Faire de la pédagogie sous couvert d’humour. Voilà une des principales visées du Dictionnaire posthume de la finance (paru en mai dernier aux éd. Eyrolles, en partenariat avec France Info) Evariste Lefeuvre, économiste chez Natixis, et David Abiker, journaliste entre autres sur France Info, y expliquent ” certaines des aberrations financières des dernières décennies.” Mais David Abiker insiste : chaque définition, aussi grinçante soit-elle, apporte une explication et une information. ” Je peux vous dire qu’expliquer la subordination de dette avec un plat de lasagne ou comparer le marché interbancaire à une boîte gay nous a demandé de gros efforts d’imagination…” En clin d’œil à leur Dictionnaire, les deux auteurs répondent aux questions d’Ecotidien sur l’actualité économique…
Ecotidien: Pour vous, plafonner les rémunérations des traders, est-ce une solution pour ressusciter la finance ?
Evariste Lefeuvre : Non, le problème majeur n’est pas tant de plafonner, ce qui s’apparente à une volonté illusoire de « moraliser » le capitalisme et à un acte plus politique qu’économique, mais de changer les incitations. Les réformes en cours qui visent à étaler dans le temps le paiement des bonus avec la possibilité de malus vont dans ce sens. Ce qu’il faut, c'est que les rémunérations prennent en charge le gain de l’année, mais aussi les risques encourus qui, eux, peuvent s’étaler dans le temps. On tuera davantage la finance si on plafonne (mais est-ce une si mauvaise chose finalement que des ingénieurs délaissent les marchés pour fabriquer des machines innovantes ?)
Ecotidien: Le chômage atteint des records, (10 700 inscrits supplémentaires en juillet) tout comme… les créations d’entreprises, l’intérim et les autoentreprises ! Le mot “salariat” fait-il partie des disparus ? À terme, sommes-nous tous amenés à être notre propre patron ?
David Abiker : Etre son propre patron, c'est bien, encore faut-il avoir des clients. C’est le client qui fait l’activité. Ceci dit, je crois à la pluriactivité et il va falloir envisager sérieusement un dictionnaire posthume de l’emploi. On lit ici où là que les signes de la reprise sont là, d’accord, c’est la fin de la crise, mais avec 10 % de chômage… On se marre… Les emplois sont détruits par pans entiers, les jeunes diplômés sont sur le carreau, les seniors sont l’objet d’un double langage délirant (on vous aime, mais on vous vire)… Bref, le contrat de travail à durée indéterminée aura bientôt sa place au Muséum d’histoire naturelle. Rayon fossile.
Evariste Lefeuvre : Non. Il faut relire Adam Smith. L’idée d’un patronat généralisée est dangereuse, car il y a dans toute société des individus fragiles et surtout qui ne dépendent que du revenu de leur travail. Les « capitalistes » sont ceux qui font des avances, prennent le risque, gagnent ou perdent. On ne peut envisager qu’un tel risque soit porté par l’ensemble de la société. La question de l’emploi n’en reste pas moi fondamentale pour les années à venir : les salariés ont malheureusement souffert durablement, car le taux de chômage va rester élevé il faut rechercher des gisements d’emploi et les services sont un secteur encore porteur, d’où les autoentreprises, les chèques emploi / services, etc. On ne peut pas parler de tout patron, car la société dans son ensemble (incitations fiscales notamment) protège ces nouveaux modes d’activité. Le principal danger, en matière de salariat, et notamment dans un contexte de crise durable, c’est la segmentation du marché du travail en fonction de la nature des contrats (CDD contre CDI) : c’est un débat autant de société que de spécialistes.
Ecotidien: Après France télécom, EDF, La Poste est aujourd’hui privatisée… le mot ” service public” appartient-il au passé ?
Evariste Lefeuvre : Depuis longtemps à Bruxelles, on parle de Services universels, une définition plus étroite, un genre de « service minimum »qui fait la nique à la fameuse spécificité française. Bien que malmené, le service public français demeure et ne devrait pas disparaître même si des mutations s’imposent en matière de gains de productivité, d’ajustements aux horaires et modes de vie et consommation dudit public. Privatisation et Fin du service public ne sont pas toujours synonymes : même si l’Etat n’est plus actionnaire dans les faits, il doit toujours pouvoir imposer des règles, voire des prix, dans des activités que les économistes appellent des monopoles naturels (activités avec réseaux coûteux notamment…). La question de la mutualisation des coûts dans la société est une vraie question en France, elle devra être analysée sereinement alors que la dette publique devrait atteindre 80 % de la richesse nationale fin 2010 !
David Abiker : Services ou sévices publics ?
Ecotidien: A contrario, l’État injecte des milliards dans les banques sans demander de contrepartie. Quel mot pourrait-on trouver pour désigner ces nationalisations qui n’en sont pas ?
David Abiker : Tutelle, curatelle, tout dépend de l’état de sénilité du système…
Evariste Lefeuvre : L’État a injecté des fonds dans de nombreuses banques sous forme d’actions préférentielles qui devraient être remboursées à terme. IL n’a pas toujours injecté sans contrepartie, prêtant par exemple via la SFEF de sommes à un taux supérieur à celui auquel il emprunte lui-même, ce qui est plutôt une bonne opération financière. On peut comprendre l’acharnement sur les banques, car la mutualisation des risques à l’ensemble de la société a été considérable. Mais rappelons que quelques cadeaux fiscaux (3 milliards pour la TVA par exemple) ont été octroyés récemment sans obligation de résultat aucune.