Les bretons et leurs galettes saucisses, les corses et leurs beignets au bruccio… Marlène est entourée de gastronomes qui pratiquent la « préférence régionale » à tout prix !
Mathilde, laborantine de 28 ans, vit en Bretagne, à quelques rues de chez ses parents. Si elle devait se définir en un seul mot, ce serait « Bretonne ». Elle porte un Triskell autour du cou, un bandana orné d’une hermine sur les cheveux, et sur la sacoche de son ordinateur, elle affiche des autocollants : « Breizh for Ever », « Kenavo les amis », « Anne de Bretagne » … Mathilde n’est pas une dangereuse séparatiste bretonne. Mais son amour pour le territoire va au-delà d’une devise ou d’un drapeau. On peut dire qu’elle mange littéralement de la Bretagne !
Par conviction ou pour honorer des habitudes familiales, pour renforcer son sentiment d’appartenance à une communauté, ou tout simplement par goût, Mathilde ne mange que des produits typiques. « Les galettes bretonnes, par exemple, n’ont rien à voir avec les crêpes mangées partout ailleurs en France. Ce sont de vrais repas complets, au blé noir, sans œuf. Si je mange souvent des galettes saucisses ? Presque tous les midis. » Elle parle avec passion de simples plats et confesse qu’elle ne pourrait pas vivre ailleurs si ça signifiait renoncer à ses repas typiques. Elle s’effraie en demandant dans une grimace : « Qu’est-ce que je mangerais ? Des hamburgers ? »
Cette question, ils sont plus de 300 000 à se l’être posée. Nés en Bretagne (Loire-Atlantique comprise, mais ne vous affolez pas, c’est juste pour la statistique) ces personnes se sont installées en Ile-de-France – pour la plupart dans les 14è et 15è arrondissements de Paris-pour des raisons professionnelles ou sentimentales. Ces nouveaux parisiens sont 60 % à voter en Bretagne et plus de 70 % à espérer y retourner un jour, selon l’association des Bretons de Paris. En attendant, pour éviter la turista parisienne, ils continuent à manger Breton. Peu importe le coût : Breizh Cola à 2 € les 33 cl, Palets bretons à 2 € 80 le paquet, quand un simple paquet de Petits Beurres vaut moins de 60 cents, rien ne les arrête.
On recense plus de 20 magasins spécialisés dans la gastronomie et les produits de Bretagne en région parisienne, sans compter les rayons des supermarchés qui réservent désormais une place de choix à la nourriture « communautaire ». Entre les produits casher, les produits portugais, les produits hallal et les produits américains, on trouve désormais des rayons « Bretagne », « Bourgogne », « Corse »…
Car la « préférence culinaire » n’est pas réservée aux Bretons. Marc, d’origine Corse, est arrivé en région parisienne en 2003. Où qu’il soit, il mange toujours exclusivement des produits insulaires. Sa femme en témoigne : « À tous les apéritifs, il veut du Cap Corse, de la Pietra (bière Corse) de l’Orezza ou de la St-Georges (eaux Corses) pendant les repas, et de la liqueur venue de Castagniccia (châtaigneraie, région du Nord de la Corse) au digestif. » Ces lubies communautaires et alimentaires ne s’arrêtent aux boissons : « Quand nous sortons, je ne demande jamais à Marc où nous allons. Je sais d’avance qu’il va m’emmener dans un restaurant corse ! »
Son principal fournisseur est un site Internet où il paye jusqu’à 13 € le saucisson, « avec un excellent rapport qualité-prix », précise-t-il. Pour économiser les frais de ports, il se rend aussi sur les foires ou salons. « Au marché, j’ai repéré un stand de Corse. Bon, la confiture de figues est à 7 € 50, mais au moins, on soutient l’économie de notre région ! C’est une sorte de commerce équitable artisanal en fait, on redistribue l’argent aux gens de chez nous. » analyse-t-il.
Obsessionnel ? Non, « gastronome » affirme Marc. Prêt à tout pour se procurer ses en-cas favoris, il fait déborder les placards de canistrelli, des biscuits au vin blanc, au citron ou à la fleur d’oranger « achetés l’été 2008 en Corse » et de divers paquets faits-mains « à partir de produits corses » et non étiquetés. Pour lui, ça n’a pas de prix, comme dirait la pub. Marc rend aussi visite une fois par mois à sa famille restée à Bastia (« hors saison, j’en ai pour moins de 150 € aller/retour ») et en profite pour ramener des victuailles : de la charcuterie, du fromage, du sanglier, acheté directement aux producteurs, sur place.
Ce qui n’est pas toujours très pratique : « Un jour, je suis rentré en bateau. J’avais mis mon sac dans une consigne pour avoir les mains libres. Ma grand-mère avait congelé du sanglier, pour qu’il se conserve mieux, si bien qu’il a commencé à dégeler dans la consigne où il devait faire 28 °. Quand je suis revenu le chercher, il y avait du sang qui coulait à travers la porte. Tous les autres passagers me regardaient de travers, ils devaient se demander ce que ce type avec une tête de Maure tatouée sur l’épaule avait mis dans sa consigne ! » S’ils avaient su que c’était juste de quoi mitonner un petit plat typique à son épouse à moindres frais… !