Tableaux d'art moderne avec sa photo, tasses ou tapis de souris à son effigie, livres à sa gloire : des parents dépensent jusqu'à 750 € par mois pour honorer leur enfant. Marlène enquête sur ces mini-gourous .
800 000 bébés voient le jour chaque année. La moitié naît de primipares âgées, en moyenne, de 29 ans. Ecotidien vous révélait l’année dernière que le budget pour un premier bébé est estimé à 6 000 € en moyenne sur une année. Mais certains parents explosent littéralement ce budget. Nous ne parlons pas de couches ou de crèches, mais de dépenses de loisir à la limite du culte de la personnalité. Les jeunes enfants sont considérés par les marques comme des consommateurs à part entière, en mieux : ils ne sont pas dotés de raison et ne peuvent pas s’exprimer sur leurs besoins, réels ou supposés ! Tout est donc inventé pour faire plaisir… à leurs parents dépensiers.
Lignes de vêtements haute-couture pour les tout-petits, tétine à 50 € en or massif ou gravée à leur prénom, plaque pour porte ou taie d’oreiller avec photo imprimée, rien n’est trop beau pour célébrer leur identité. Il existe même un classement des « bébés les plus influents du monde » ou Suri Cruise et Shiloh Jolie-Pitt s’affrontent. Au rayon enfant, la vendeuse d’un magasin de luxe affirme que la petite robe portée par Sasha Obama à Paris est devenue culte et désormais introuvable en rayon.
En Amérique du Nord, cette année, ce sont plusieurs milliers de livres personnalisés qui ont été vendus. Pour 20 € à 30 € l’une, ces histoires proposent de faire de votre enfant le héros : couleur des cheveux, de la peau, des yeux, tout est conçu en fonction de ses caractéristiques, jusqu’au titre qui prend son prénom. Terminé, Martine à la plage, il pourra lire (Son prénom) à la plage. Un choix souvent assumé par les parents. Evelyn Mathieu, d’AlphaKid, la société éditrice de ces livres, nous indique : « La majorité des dédicaces sont signées Papa, Maman, Tantine, Grand-Mère… des proches. »
Certains parents vont même plus loin, en faisant réaliser de véritables œuvres à l’effigie de leurs enfants. Vous avez sans doute déjà vu dans un catalogue les fameux « Marylin » d’Andy Warhol, remplacés par une photo de bébé, dont le tarif varie entre 29 € pour une petite photo et 500 € pour une vraie toile, l’unité ! Il suffit de taper sur un moteur de recherche, il existe des dizaines de sites consacrés à cette activité. Marie Spinosi, artiste peintre, crée des tableaux d’inspiration art moderne à partir de photos d’enfants. Elle reçoit 10 à 15 commandes chaque mois de parents, pour des tableaux de 89 € à 320 € selon leur taille. « C’est offrir un souvenir, comme une photo, mais avec un petit plus, car il s’agit d’un objet unique, artistique et vraiment personnel ! »
« Moi, j’ai acheté plusieurs livres personnalisés pour ma fille. J’ai aussi commandé des vêtements imprimés à son prénom, et au-dessus de son lit, j’ai mis un poster géant d’elle. Dans le salon, nous avons un tableau pop-art fait à partir de photos d’elle, et des lettres géantes avec son prénom dans l’entrée. » Sonia, mère de Zoé, 3 ans, établi fièrement la liste des objets personnalisés de sa fille. « Mon budget Zoé est illimité. Ce mois-ci, j’ai dépensé plus de 750 € dans des objets pour elle, parce qu’il y avait les soldes. Je préfère m’acheter des chaussures en 10 € au marché, et garder mon argent pour des objets uniques pour elle. » Son prochain achat, un cadre photo numérique pour son bureau, où elle pourra voir défiler sa fille dans toutes les tenues et dans tous les univers. « J’ai reçu une éducation austère, ma mère ne m’achetait même pas de petits jouets à la caisse des supermarchés. Je veux offrir à Zoé tout ce que je n’ai pas eu étant petite » justifie Sonia quand nous lui demandons si elle trouve son budget trop élevé.
Selon Freud, l’origine du narcissisme est à chercher dans la petite enfance, et plus particulièrement dans les échanges entre le bébé et la mère. Alors, pour un bébé, grandir dans un univers entièrement à son effigie, n’est-ce pas nocif ? Quand nous avons posé la question à Frédérique Corre-Montagu, auteure de Jeune maman et paresseuse (Marabout), elle a sorti « un crucifix et des gousses d’ail tellement j’ai été traumatisée par la visite de la photographe de la maternité qui, en plus de l’album de photos que j’attendais, m’avait sorti une collection de montres, de verres, de médailles et de pendules personnalisés ! Quand on ne s’y attend pas, ça fait un choc. » Ces premières photos sont vendues jusqu’à 25 € l’une aux nouveaux parents baignant encore dans l’émotion de la naissance, parfois même avant qu’on n’ait retiré ses perfusions à la jeune accouchée. Et déjà, les peignoirs cousus au prénom, les tapis de souris avec photo, les poupées-sosies du bébé affluent.
Frédérique Corre-Montagu n’y voit pas du narcissisme mais « cet état de gagatitude profond dans lequel tombent certains parents à la naissance de leur enfant (du premier généralement, après ça se calme) et du besoin d’afficher leur nouveau bonheur » Marie Spinosi précise qu’une peinture peut aussi être réalisée à l’effigie d’une famille entière. Pour elle, « le fait que la peinture soit graphique et moderne donne suffisamment de distance pour ne pas en faire une œuvre mégalomaniaque, bien au contraire. »
Or de toute considération narcissique, sortir des stéréotypes et des standards : voilà le but des histoires dont votre enfant est le héros, d’après Evelyn Mathieu. Elle regrette que la plupart des livres pour enfants excluent de leurs histoires les familles « différentes », homoparentales, monoparentales, recomposées, avec des enfants adoptés ; et que tous aient la même couleur de peau. « Pire, quand un personnage au teint plus foncé est présent dans un livre pour enfant, il est souvent « l’ami spécial qu’il faut tolérer malgré sa différence », ce qui semble un peu aberrant à notre époque. » Le souci du réalisme serait donc la première motivation des parents. Cette tendance se calque aussi sur des inventions comme les Mii sur Wii, les personnages des Sims ou de Second Life, ou les jeux vidéos : autant d’occasions de se mettre soi-même ou son « mini moi » en scène.
Banquier à Nice, Xavier confirme que rien n’est trop beau pour les jeunes parents. « Certains se mettent en difficulté pour leur bébé alors que celui-ci ne marche pas encore ! J’ai vu des parents à découvert qui abreuvaient le compte d’épargne de leur enfant de 17 mois pour ses futures études, et d’autres qui m’ont demandé un crédit de 1500 € pour payer un voyage de découverte à leur fils… de 6 ans ! »
L’auteure de Jeune maman et paresseuse en appelle au bon goût : « Ok pour la photo sur le mug ou les cadeaux personnalisés aux grand-parents. Par contre, on reste sobre pour ne pas transformer sa maison en temple à la gloire du mini-Kuzco : pas de buste en plâtre dans l’entrée, de portrait grandeur nature dans le salon ou de tee-shirts à son effigie pour tous les membres de la famille. Sinon, ça finit par faire secte ! » Votre enfant, le gourou le plus cher du monde ?