Aux États-Unis, les médias disent que la crise est finie. Fort de ses années de banquier, chaker, notre journaliste économique, analyse la situation pour ecotidien…
Nadia a été licenciée le mois dernier, et doit revoir à la baisse son budget vacances. « Je pensais louer quelque chose, mais finalement, je n’aurais pas les moyens » Sauf si un emploi se présentait à elle d’ici là, cette jeune mère parisienne a donc décidé de passer deux semaines en famille, chez sa sœur, à côté de Marseille. « Ça fait 2 ans qu’on ne s’est pas vues, c’est vrai que c’est l’occasion de lier les deux, vacances économiques et retrouvailles familiales » reconnaît-elle.
Le même constat est fait par Hugo, Rennais de 26 ans. Diplômé d’une maitrise de gestion, il ne trouve que des contrats de livreur en intérim. Ses revenus (400 à 700 € par mois) lui permettent tout juste de payer sa part de loyer, ses factures et quelques courses. Impossible par exemple de déjeuner à l’extérieur « sinon je travaille à perte ! » déplore-t-il. Alors, tous les midis, direction l’appartement de ses parents, où il retrouve sa compagne, ses deux frères et une de ses belles-sœurs à table avec leur mère. « Sans le repas gratuit, j’avoue que je ne prendrais sans doute pas le temps de venir. » Sa mère en est bien consciente et se réjouit à mi-mot : « Tant mieux si ça fait revenir les enfants ! » Cette femme dévouée fait aussi office de nourrice gratuite pour le fils de son aîné, Pierre, qui lui dépose chaque matin en allant travailler.
Parmi les 2,5 millions de personnes actuellement au chômage, dont 58 500 licenciés uniquement sur le mois dernier, beaucoup (de femmes, mais pas uniquement) vont renoncer dans un premier temps à la recherche d’un emploi pour s’occuper de leurs enfants. « Pendant les 5 premières années de mes filles, je rentrais après 21 heures et travaillais le week-end, pour rien finalement, puisque je viens d’être viré », raconte Arnaud, ancien responsable RH, qui compte bien « profiter » de son récent chômage pour aller chercher ses enfants à la sortie de l’école. Dès que sa femme aura accouché de leur troisième, c’est lui qui restera à la maison pour s’occuper de toute la troupe, et économiser au passage les frais de garde « Si je n’avais pas été au chômage, cette idée ne me serait jamais venue à l’esprit », se réjouit-il – pour l’instant.
La récession aurait même la faculté de ressouder les couples en dissolution : en février dernier, plusieurs journaux révélaient les cas de couples britanniques obligés de vivre sous le même toit, bien que fraîchement divorcés ; aucun d’eux ne trouvant de logement vaquant dans leur budget ! Au-delà des considérations purement financières, la remise en cause de notre modèle économique s’accompagne d’une remise en cause de notre mode de vie.
Les collègues passent, mais ne restent pas, « il est loin, le temps de nos parents où l’entreprise était un cocon, comme une deuxième famille » d’après Nadia, et « il est difficile de garder des amis quand on n’est pas en mesure d’amener une bouteille ou de se payer un restau avec eux » déplore Hugo. Alors que la famille reste présente, qu’on le veuille ou non, dans les bons et dans les mauvais moments. Pour Evelyne Sullerot, sociologue de la famille, féministe, co-fondatrice du planning familial et présidente d’honneur de SOS Papa, la dévalorisation de la famille déboussole l’ensemble de la société. Dans son livre La crise de la famille, sorti en 2000, elle affirme que malgré les 70 000 couples parentaux qui divorcent chaque année en France, elle est la seule « donnée durable autour de laquelle la vie peut être centrée ». Alors, la famille serait-elle cette fameuse « valeur-refuge » tant recherché par les spéculateurs ?